8.12.11


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Coléoptères en rafale.


Un jour, un fou a dit "On est jamais vraiment au début ni à la fin d'une histoire. On est toujours au milieu. Et c'est au milieu qu'on peut inventer."

La mine du critérium se casse, la pellicule chauffe.

Sur la première image, le petit moulin à vent bleu et blanc piqué dans le sol devant le 14 rue des Albatros annonce la froide saison. Gelé, il ne tourne plus depuis maintenant quelques semaines. Le tictac du temps est comme le vent qui souffle, irrégulier, imprenable et imprévisible. Il frappe à la porte au moment où l'on ne l'attends pas. Comme un voisin qui viendrait se plaindre d'une pollution sonore qui n'a aucun sens.
Oui, désolée monsieur. Je chante si je veux. Au revoir.
Il me regarde, son affreux sourire en plastique figé. Puis repart comme un pantin dont on aurait emmêlé les fils juste pour le plaisir de lui donner une bonne leçon.

On entend au loin le bruit répétitif d'une machine électrique. Qui tourne.

Les coléoptères ont bloqués leurs ailes en étui et s'abritent dans leurs carapaces. Dur hiver. Les pas des petits enfants absents résonnent dans la neige. L'école a recommencé parait-il, mains dans la mains ils retournent en classe, leur spleen gentiment rangé au font de leur cartable à coté de leur trousse de super héros et de leurs cahiers mordillés. Ils écoutent attentivement l'horloge.

Qui tourne.

Le grand père au numéro 17 de la rue, gare sa voiture à coté de ses buissons passablement taillés. Il a l'air tout content, je devine qu'il n'a pas trouvé de bois pour sa cheminé, et que par conséquent, il pourra boire du vin chaud sans scrupules durant tout le mois de décembre. Quel marin ivre. Que va-t-on de lui, et de son labyrinthe de rides poussiéreuses?

La bobine trouée glisse.

L'automate de voisin partit, je me remets à chanter. J'ouvre la porte de la cuisine, sors une assiette, un couteau, et découpe une petite part de tarte à la framboise posée sur la table.
Les petits grains croquent sous mes dents, c'est désagréable.
Une framboise tombe sur mon chemisier. Une nouvelle tache rouge entre dans la famille.
Ca fait assassin de fruits rouges. Une par une, je leur règle leur compte, accompagnées de crème fouettée. Je plisse les yeux sous l'effet de l'acidité et repose la cuillère. Méfait accompli.

En boucle.

Par la fenêtre j'entrevois le Vieux Billy qui traine ses os jusqu'à la boite à lettres. La pipe dans le coin de ses lèvres laisse entrevoir l'esquisse d'un sourire. Il a enfin reçu la lettre de sa petite fille, qui est en age d'écrire à présent. Son regard en dit long, il conservera ce bout de papier durant le reste de sa vie.

Comme une course poursuite, un circuit qui ne s'arrête jamais.

Un chat marche dans la neige tout lentement. Il s'appelle Pirate. Effrayé par ce tapis blanc posé sur son terrain de jeu, ses moustaches bougent. Voila plusieurs minutes qu'il est assis à contempler le vide. Ils sont comme ça les chats, ne rien faire est leur principale activité. Mais elle ne dure jamais longtemps... Il se retourne brusquement et aperçoit un petit oiseau bleu jouant sur la neige. A en comprendre la position de Pirate, la chasse est ouverte, il est pret à passer à l'abordage.

Une image qui court après une autre.

Les chasseurs d'arc-en-ciel errent dans la rue en quête d'aventure. Ils jouent à pierre-feuille-ciseaux afin de déterminer celui qui ira sonner à ma porte pour me refourguer une orange contre quelques maudites pièces jaunes. Egalité. Ils rigolent. Pour les départager, ça sera pile ou face.

24 fois par seconde.

Des rafales de vent débarquent dans le paysage, accompagnées de pluie. Elles obligent les quatre garçons à se mettre à l'abri. Pirate le chat, lui, court se réfugier sous une voiture. Il est 16h. Les petits enfants rentrent de l'école.
Ils sont contents. Jettent leur cartable hanté sur le bord du trottoir, et sautent avec leurs lacets défaits dans la rivière qui vient de naitre. Le galion a coulé au fond.



Générique de fin.

Ma vie est une bobine de film découpée, puis rescotchée n'importe comment, par un projectionniste qui lui, reproduit ce schéma 365 fois par an.

7.12.11


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 Tout ce cirque pour un stylo tombé au sol.


J'ai toujours été maladroit. Je vous jure, je l'ai toujours été. C'est pas d'ma faute.

- Ainsi, vous étiez, mardi 16 janvier 1998, sur le pont des Météorites?

- Je tombe souvent des chaises, je n'y peux rien.

- Vous ne répondez pas à ma question, Monsieur Renard. Etiez-vous, oui ou non, sur le pont des Météorites, la semaine dernière, le 16 janvier, aux alentours de 17h30 ?

- C'est pareil pour mes stylos, ils tombent sans arrêt. Tout le temps, comme ça, par magie. Boum ! Comme si, j'sais pas, quelqu'un les poussait à ma place. Bon c'est vrai. Au début, j'avais l'impression que j'étais juste maladroit.

- Vous avouez donc ?

- J'avoue quoi ? D'être né avec deux bras gauches ? 'Faut en parler à ma mère ça, monsieur, ce n'est pas moi qu'il faut embêter. Je ne suis que le résultat de cette triste expérience qu'est la grossesse. Oui. Et j'ai deux bras gauches. Et les mains qui vont avec. Mais ce n'est pas ma faute, pas ma faute...

- Cessez donc ce cirque, et répondez à ma question, vous avouez donc ?

- Que j'avoue quoi ? Être coupable d'être né, moi, Maurice Renard, aux alentours de 11 heures, à l'hôpital Serge Carnaval ? Je n'y peux rien ! Vous faites erreur dans le service après vente, Monsieur ! Regardez... Vous me dites que c'est le cirque partout où je passe...

- Oui enfin, si ce n'était qu'un cirque, vous ne seriez pas là aujourd'hui ...

- Laissez moi finir, genre, oui vous avez raison, c'est le cirque sur mon passage, tous les jours, tout le temps. Ils arrivent, là, et devinez ce qu'ils font? Ils plantent carrément les piquets, ils emmènent les tigres aux grosses dents, les danseuses toutes mignonnes dans leurs petits tutus. Il arrivent avec leur maquillage et leurs costumes, leurs paillettes et leur talc qui pue. Il pue leur talc, vraiment ! Et moi, je suis là, et je demande juste à être tranquille, je veux qu'on me laisse en paix. J'en veux plus de ce cirque, qui bourdonne dans ma tête jusqu'à 7 heures tous les matins. Ting ting ting, les marteaux qui résonnent sous le chapiteau. Vous imaginez pas tout le grabuge qu'ils font ! Non, vous, vous ne pouvez pas comprendre...

- Vous rejetez la faute sur ces gens du voyage ?

- Ce n'est pas exactement ça, je dis juste qu'ils me suivent tout le temps. Je me sens un peu traqué. Genre, je suis leur dernier numéro, je ne suis pas le clown triste, ni le clown méchant, je suis le maladroit. Celui qui fait tout tomber sur son passage. Le clou spectacle !

- On en arrive au point intéressant.. Vous pouvez développer?

- Ben j'veux dire, je suis souvent tout seul dans mon jardin, là, à arroser mon arbre à coeur avec le reste de thé de mon petit déjeuner, et je les entends, ils arrivent. Comme ça, dans mon jardin. Vous imaginez, vous, un cirque qui débarque, là, au beau milieu de votre propriété ?

- Mais comment rentrent-ils tous ?

- Vous ne pouvez pas comprendre.. Alors ca m'énerve, et je fais tomber ma tasse. Du coup, ca me brise le coeur, et je m'énerve encore plus. Et mon peignoir tombe. Et tous les matins, c'est la même chose, je casse une tasse, et me retrouve nu, face à la voisine d'en face. Surprise, elle fait tomber ses mots croisés par terre.

- Et c'est tout? Je vous soupçonne de changer de sujet, et de me prendre pour un imbécile.

- Mais non, mais non ce n'est pas tout. J'ai d'abord pensé, que j'étais maladroit ! Et puis, plus je faisais tomber des choses, stylos, livres, vêtements, clefs de maison, chapeaux, bijoux, plus je me rends compte qu'en fait...

- Qu'en fait ?

- Qu'en fait, j'aimais ça. Je voulais passer ma vie à faire tomber des choses.

- Alors vous avouez donc ?

- J'avoue quoi ? Éprouver une certaine satisfaction à voir les choses au sol ? Mais nous sommes tous des animaux Monsieur, les objets, ce n'est pas fait pour rester en hauteur..

- Ne soyez pas absurde.

- Je disais donc, que j'éprouvais une certaine satisfaction à voir les choses au sol. A les faire tomber. Quoi de plus beau que le bruit mélodieux d'une assiette qui se casse? J'en ai assez d'être gentil. J'en ai assez d'être maladroit. Je veux, être méchant. Et je me suis rendu compte, que ma voisine, n'était pas contente quand elle faisait tomber ses mots croisés édition delux.

- Vous n'avez jamais pensé à .. voir Quelqu'un ?

- Comment ça voir quelqu'un ?

- Vous savez ... Quelqu'un.

- Ah. Ma mère, était inquiète, à cause du cirque. Elle ne le voyait pas. Vous savez, le cirque dans mon jardin. Elle ne l'entendais pas. Comment peut-on ne pas le voir ? Le talc, et son odeur .. Comment ne pas le sentir ?

- Oui oui, je sais, le talc qui pue.. Continuez.

- Et bien, elle m'a dit, ensuite, que j'avais attrapé une angine, et qu'il fallait que j'aille voir le docteur Cagette. J'y suis allé.

- Et ?

- Et je n'avais pas d'angine.

- ....

- Par contre, il me parlait, parlait, parlait. Il est encore pire que moi. Et entre ses dents, j'ai entendu des syndrome .. Syndrome.. Ah, qu'est-ce qu'il disait déjà... Syndrome du manque d'attention. C'est ça. Mais expliquez moi, comment voulez vous être atteint du syndrome du manque d'attention, quand un CIRQUE ENTIER vient chez vous ? Hein ? Qu'il est jaloux, ce vilain docteur. Je lui offre mon cirque si il veut, les tutus et les paillettes qui vont avec.

- Soit .. Et que vous a-t-il dit de plus, Monsieur Renard ?

- Je n'sais plus, j'étais outrageusement vexé par ses propos. Alors il m'a regardé de derrière ses lunettes et ses lèvres ont bougées. J'ai entendu " Fais tomber mon café ".

- Alors ?

- Alors je l'ai fait tomber, que vouliez vous que je fasse d'autre ? Et c'était beau. Je me sentais bien. Alors quand je suis sorti, j'ai pris mon sac, et je l'ai lancé au sol. Et puis après, j'ai tout fait tomber par terre. Je voulais tout voir sur le goudron. Les journaux des passants, les baguettes de pain, les cigarettes de monsieur, le chapeau de madame, les étagères dans la bibliothèque, les grands-mère dans le bus. Tout. Et j'y a pris un pied monstrueux. Un pied comme je n'en avais jamais pris auparavant. Mieux que les femmes, Monsieur, je vous jure, j'avais tout le monde. Tout le monde à mes pieds.

- Quel jour êtes-vous allé consulter le docteur Cagette ?

- Lundi dernier Monsieur... Non. attendez, c'était mardi. Mais ce n'est pas bien important.. Vous n'êtes pas plutôt intéressé par la jouissance de cet acte ? Je veux dire, vous ne voulez pas ressentir la même chose ? C'était quand même sacrément bon !

- Mardi 16 ?

- Très probablement oui. Vous savez, les chiffres et moi .. Vous êtes vraiment rabat-joie.. vous ne souhaitez pas connaitre le bonheur. Vous êtes jaloux, c'est tout.

- Et vous êtes rentré par le pont de Météorites, pour revenir à votre domicile ?

- C'est à dire qu'après avoir fait tomber tant de choses, je commençais à avoir le pantalon tout sale. J'avais du café sur moi, de la terre, de la nourriture. C'est pas tout propre.. Et le pont des Météorites, c'est mon raccourci secret pour ne pas passer devant le cirque, et surtout pour arriver très rapidement chez moi.. Pourquoi cette question ?

- Monsieur Renard, vous allez devoir me répondre, clairement et distinctement. Êtes vous coupable du meurtre de Monsieur Henri Millequant ? L'avez vous, oui ou non, poussé et fait tomber du pont des Météorites, le Mardi 16 janvier à 17 heures précises?

- C'est à dire, Monsieur le juge, qu'il portait un nez de clown.

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 Briskdal 

Certains comptent les moutons quand ils n'arrivent pas à dormir.
Marine Dotchault, elle, compte les gouttelettes de son radiateur. Il est cassé. L'eau qui y coule donne presque envie d'aller aux toilettes. Mais pour les plus aventureux, ce sont les cascades suspendues de Norvège que cette défaillance rappelle. Le fraicheur des glaciers. Le vide d'un oreiller. Le bleu de Briksdal, une mer qui inonde sans prévenir. Seule face à un lit trop grand. Mademoiselle Dotchault ne l'a pas vu arriver. Ce froid. Cette morsure. Elle s'est noyée dans l'immobilité de l'eau, elle a failli y rester. Comme figée par le temps, dans ses quelques centaines de mètres turquoises, elle a sentit son cerveau s'embrumer. Elle ne se rappelle de rien, ni du glacier scandinave, ni de la sensation de se sentir minuscule face à la violence de la nature. Non. Ce spectacle unique, vieux de quelques centaines d'années, elle n'y a pas assisté. Elle est montée, pourtant, pendant plusieurs heures, jusqu'en haut de la montagne. Écrasant les cailloux, évitant les rares pousses d'herbe, respirant le seul air pur à des milliers de kilomètres à la ronde. Seulement, arrivée en haut. Tout bloque. Arrivée en haut. Arrivée en haut. Arrivée en haut. Tout bloque. Elle ne se rappelle de rien, seulement le vague souvenir d'être allée aux toilettes. Elle a refusé de regarder. Elle a fuit devant tant d'évidence. Tout bloque, arrivé en haut. La beauté naturelle d'une cascade fait plus de ravages qu'un semblant d'eau distillée, dans un verre avec des glaçons. Elle n'a pas d'excuse. Sa tête n'était déjà plus là.

Elle garde juste près de son cœur la froideur de cet oreiller, et sa respiration se bloque sous la basse température d'un souvenir tout creux, remplis d'actes manqués. Les actes manqués, ca fait des dégâts. Les actes manqués, elle n'a pas eu le temps d'en avoir peur. Tout s'est passé tellement vite, comme la craie d'un vieux fou qui se brise sur son tableau noir. Il avait voulu écrire espoir. Clac. D'un coup sec, elle a eu mal, tout simplement.
Mademoislle Dotchault aurait aimé se rappeler. L'avoir vécu. A la place, il y'a un immense vide. A coté de son petit cœur gelé. La seule chose qu'elle a gardé du Brisksdal, c'est le froid de ses glaciers. Finalement il n'y a pas eu de séquelles, sauf elle. Sauf elle. Elle n'a pas eu d'chance.

Alors elle cherche, tous les bruits lui rappelant la cascade glacée. Toutes les sensations. Solitude. Froid. Afin de reconstruire ce moment. Tout. Jusqu'à la petite gouttelette d'un radiateur cassé.